La fermeture de la frontière du Nigeria avec le Bénin affecte durablement les centaines de conducteurs de camions qui sont obligés de vivre dans de mauvaises conditions comme des rats. Les marchandises aussi sont exposées à la merci des intempéries et en état de putréfaction. Les conducteurs ont perdu totalement le moral et sont livrés à eux-mêmes.
A l’entrée de Sèmè Kraké, dans la commune de Sèmè Podji, frontière Bénin-Nigeria, ce sont des centaines de camions chargés de marchandises qui sont stationnés, le long de la voie principale. Aucun d’entre d’eux ne peut entrer sur le territoire nigérian. Il y en a qui sont garés sur les lieux depuis le 20 août 2019, date à laquelle le Nigeria a unilatéralement fermé ses frontières avec ses voisins dont le Bénin. Habib est l’un des responsables des conducteurs. Il n’arrive plus à contenir sa colère. « Je suis ici depuis plus de trois mois. Des boites de conserves pourrissent dans mon véhicule. Je ne sais pas quand est-ce que la frontière sera ouverte pour que je puisse décharger ces marchandises au Nigeria », se désolait-il quand sa femme l’avait appelé au téléphone et le soupçonnait d’infidélité et lui réclamait expressément de l’argent pour nourrir les enfants à la maison. « Elle pense que je suis avec une femme ici à Kraké. Où vais-je trouver l’argent à lui envoyer ? Moi, c’est grâce à mes camarades que je mange parfois ici », s’indigne-t-il. Comme Habib, la plupart des conducteurs vivent dans de mauvaises conditions à la frontière de Sèmè Kraké. Manger et même trouver de l’eau pour se laver ne sont pas des équations faciles à résoudre. Il y en a qui ont abandonné les camions et leurs apprentis sur les lieux. Ces derniers traversent aussi une période difficile. Ces derniers jours, Shegun, l’un des conducteurs a décidé de rejoindre ses parents à Kétou. Il a laissé son apprenti seul à Kraké. « Mon patron m’a laissé ici depuis plus de deux mois, il ne m’envoie pas d’argent pour me nourrir. Ce sont mes amis qui me donnent à manger. Je veux rentrer au village », a déclaré Roger Madodé. La plupart de ces jeunes d’à peine 20 ans se sont livrés à eux-mêmes et parviennent difficilement à subvenir à leurs besoins. Selon certains témoignages, ces apprentis se livrent au vol des marchandises dans les camions pour souffler un tout petit peu. Certains parmi eux ont été arrêtés et ont fait l’objet de représailles.
L’anxiété gagne les conducteurs
A la frontière de Kraké, conducteurs et apprentis se promènent dans les rues à longueur de journée avec un poste radio en main dans l’espoir d’écouter une information sur la fermeture de la frontière. L’ennui a déjà gagné tout le monde. « Nous sommes abandonnés à nous-mêmes et personne ne vient pour s’enquérir de notre situation », a déploré Barnabé Ouédraogo, un conducteur burkinabé de gros porteur. Les conducteurs passent une large partie de leur temps à bavarder entre eux ou à dormir sous les camions. En cette période de l’harmattan, la vie de ces conducteurs laissent à désirer. Les nuits, le sommeil n’est plus facile. Les conducteurs, exposés à la belle étoile, grelottent dans le froid. Certains en profitent pour mener des activités sexuelles à la frontière avec des risques de propagation des maladies comme le Vih/Sida et autres. « Nous n’arrivons pas à nous protéger contre les maladies. Nous mangeons mal, nous dormons mal, nous vivons très mal ici », a fait savoir Karim Traoré, un conducteur malien. « Certains parmi nous ne parviennent pas à se soigner lorsqu’ils sont malades faute d’argent. Le pire nous guette à tout moment », a-t-il poursuivi.
A Kraké, les effets de la fermeture des frontières sont très perceptibles. Les rues, bars, restaurants, boutiques et marchés sont presque déserts. La localité a perdu son animation habituelle où tout grouillait de monde. Aujourd’hui, tout le monde se plaint et prie pour la réouverture de la frontière afin que les activités reprennent de plus bel. Les conducteurs espèrent que les autorités nigérianes mettront fin à leur calvaire en procédant à la réouverture de la frontière. Mais à l’heure actuelle, les négociations piétinent et le Nigeria continue d’exiger auprès du Bénin un peu plus d’efforts. Les conducteurs devront encore attendre pour voir le bout du tunnel.
Jules Yaovi Maoussi