Beaucoup de personnes l’ont connu dans le passé comme un producteur qui a fait le succès de plusieurs jeunes artistes béninois. En réalité, Lucas Koffi est un musicien guitariste, formateur et créateur des idoles. Les nombreux déboires connus n’ont pas émoussé sa volonté de continuer à promouvoir la musique béninoise. Après un long silence, Lucas Koffi se prépare à faire parler encore de lui à travers une sortie discographique. Dans cette interview, Lucas Koffi, le grand combattant de la musique, nous parle de son parcours musical, des grands faits qui l’ont marqué et de son prochain album.
Dans le passé, vous étiez un grand musicien et producteur connu de tous. Vous avez disparu entre-temps de la scène musicale. Aujourd’hui, vous préparez votre retour. Qu’est-ce qui vous fait revenir dans la musique ?
Pour ceux qui m’ont connu il y a déjà des décennies, j’ai commencé par la guitare. Je suis guitariste. En 1971, c’est nous qui avions commencé avec Madame Cousine Angèle à animer l’émission enfantine sur la Radio Nationale du Dahomey. Roger Tchaou s’était joint plus tard à nous pour animer ce programme radiophonique des enfants. Au Collège d’enseignement général (CEG) Gbégamey, j’ai formé le premier groupe musical de cet établissement scolaire dénommé ‘’Les Black horses’’. Mais ce groupe n’a pas trop longtemps prospéré. C’est ainsi qu’en 1975, j’ai créé au sein du CEG Gbégamey l’orchestre scolaire ‘’Les Sphinx’’ avec des camarades comme Jacob Francisco Cabinda, Robert Zomalèto, René Yahouédéhou, feu Victor Assogba etc. J’étais devenu le guitariste et le chef d’orchestre de cet ensemble musical scolaire. Nous avions accueilli plus tard Angélique Kidjo qui était l’une de nos grandes chanteuses, Stan Tohon, lui faisait partie de nos batteurs et bien d’autres élèves artistes de talent. Le nom Les Sphinx a été attribué au groupe par Jacob Francisco Cabinda et nous faisions au départ les répétitions hors du collège. En 1976, le directeur du CEG Gbégamey, Antoine Détchénou avait demandé l’intégration de l’orchestre au sein de l’établissement à la faveur de la coopérative scolaire. Nous avions animé plusieurs soirées et des récitals dont les souvenirs demeurent encore vivaces dans la mémoire de nombreux mélomanes. C’est un groupe qui existe encore jusqu’à ce jour dans cet établissement. A un moment donné, la musique prenait le dessus sur mes études. C’est ainsi qu’en 1978, j’ai quitté le Bénin et mes amis sans rien leur dire pour Lomé afin de m’occuper davantage de mes études, mais j’ai maintenu mes relations avec mes amis de Les Sphinx. Je revenais à Cotonou de temps en temps pour les assister au cours des récitals scolaires et autres. Après avoir obtenu le baccalauréat en 1981, j’ai décidé de revenir à Cotonou pour me lancer dans les affaires tout en poursuivant mes études à l’université.
Au moment où vous dirigiez le groupe Les Sphinx, quelles sont les chansons des artistes que vous interprétiez ?
Moi, je ne chantais pas. J’étais à la guitare. Nous avions des chanteurs comme Jacob Francisco Cabinda, Alexis Louèkè etc. On interprétait beaucoup les chansons du Camerounais Ekambi Brillant, de Tabou Combo, de Les Aiglons, de David Martial, Francis Bébé etc. Angélique Kidjo exécutait beaucoup les chansons de Myriam Makeba.
Vous étiez aussi dans la distribution des albums des artistes. Comment étiez-vous entré dans cette activité ?
C’est mon ami Guy Kpakpo, actuellement promoteur de Radio TOKPA à Cotonou, anciennement directeur artistique de la Société africaine de technique électronique (SATEL), qui m’avait confié la réalisation de la pochette de la cassette ‘’Es La mania’’ de la grande chanteuse togolaise Afia Mala. Lorsque j’ai fini la réalisation, j’ai assuré la distribution de l’œuvre musicale d’Afia Mala. C’était ma première expérience dans la distribution des albums et cela a été un grand succès pour moi. Ensuite, j’ai réalisé les pochettes des albums ‘’Désir’’ et ‘’Prophétie’’ toujours de Afia Mala. J’ai distribué également ces albums un peu partout avec grand succès. J’ai distribué aussi l’album de Kiri Kanta. Je livrais les albums en gros aux disquaires qui se chargeaient de les vendre à leurs clients.
Vous vous étiez lancé plus tard dans la production des albums des artistes. Quel a été le déclic ?
Après quelques années passées à assurer la distribution des œuvres musicales, j’ai été pris d’envie de m’occuper aussi de la production des albums des artistes. Ainsi, j’ai détecté le talent de Zouley Sangaré dans le septentrion du Bénin. Après avoir écouté sa maquette, je m’étais déplacé de Cotonou pour aller la rencontrer à Parakou. Alors, j’ai produit son premier album en 1995. Le succès de son album m’a encouragé à produire d’autres artistes comme GB Original, Les Frères de sang, ainsi que le tout premier album de Rico’s Campos intitulé ‘’Simékou’’. J’ai produit également le groupe Africawé avec le titre à succès ‘’Gogo penché’’. La chanteuse béninoise vivant en France Christ Day et Stéphane Apanh Johnson faisaient partie de mon écurie sans oublier le groupe Africa percus et plein d’autres artistes béninois.
Qu’est-ce qui vous motivait à produire autant d’artistes béninois ?
C’est parce que j’aime la musique. Je suis un grand passionné de la musique. Je ne cherchais pas quelque chose en retour dans la musique et la production des artistes me préoccupait parce que j’avais le souci d’aider les artistes béninois à avancer dans la musique. Je sais combien de fois j’ai laissé mes plumes dans cette passion et la production des artistes. J’ai failli sacrifier l’avenir de ma famille et celui de mes enfants à cause de la musique. Je mettais toutes mes ressources financières dans la production des albums des artistes. Je n’ai jamais eu le retour sur mes investissements parce qu’à peine je produisais l’album d’un artiste et c’est fini, il me tourne le dos. Tout ce que j’ai investi pour produire l’artiste s’évapore dans la nature. Je ne récupérais plus rien. C’est le cas avec tous les artistes que j’ai produit dans ce pays et alors que ce n’est pas du tout facile de produire un artiste et de le faire connaitre à travers tout le Bénin. Au début, les artistes me suppliaient presque en pleurs de les aider et après la production, vlan, ils disparaissaient.
Avez-vous aujourd’hui des regrets ?
Non, je ne le regrette pas parce que je peux dire aujourd’hui que j’ai sorti la musique béninoise des sentiers battus. Si je remonte un peu dans l’histoire, c’est Albarika qui produisait le Tout-Puissant Poly Rythmo. Après, Libert Adjibi avait pris le relai pour produire les albums de quelques artistes. Tout juste après ce dernier, j’ai pris le devant des choses pour produire un grand nombre d’artistes. Il y avait aussi Richard Quenum qui aidait les artistes. Nous constituons la nouvelle génération de producteurs. Il n’y avait pas de musiques béninoises sur la place à l’époque. J’ai fait croire aux Béninois que la musique béninoise peut être consommée. Avant, les Béninois écoutaient les musiques de Koffi Olomidé, de Aurlus Mabélé, de Ndédy Eyango etc., des artistes ivoiriens et des chansons antillaises surtout de Kassav’. Aujourd’hui, les choses ont changé. On en a tellement que l’on ne sait plus quoi écouter. Il y a toute une pléthore de musiques et les mélomanes se retrouvent dans l’embarras de choix. C’est nous qui avions donné le top de la vague de la nouvelle génération des artistes béninois. Le problème aujourd’hui est qu’il n’y a plus de producteurs pour les artistes. Ceux qui nous avaient vus à l’œuvre dans le passé ne nous envient pas pour nous emboiter le pas. Ce n’est pas du tout un métier à encourager. Aujourd’hui, les artistes font de l’autoproduction, ils s’occupent en même temps de la distribution, du management, de la communication et de tous les autres volets de leurs œuvres. Finalement, ils n’y arrivent pas. Ils sont obligés d’enregistrer une seule chanson qu’ils partagent dans les radios et les réseaux sociaux. Ce n’est pas ce qu’il leur faut. Il faut des structures qui vont entièrement s’occuper de leur carrière. C’est ce qui fait que certains artistes commencent la musique et ils l’abandonnent encore quelque temps après. Moi, j’allais emprunter de l’argent à la banque pour produire les artistes. Sans rien gagner après. Je n’ai jamais obtenu un seul franc du Fonds d’aide à la culture pour mener mes activités. J’ai assez cassé des œufs et cela n’a pas été facile pour moi.
Quel regard jetez-vous aujourd’hui sur la musique béninoise ?
Je suis très content du décollage de la musique béninoise au Bénin, en Afrique et dans le monde. Je me battais avec les animateurs des radios afin que les œuvres des artistes béninois soient diffusées à foison sur les antennes. Avant, il n’y avait pas assez de musiques béninoises et ils demandaient ce qu’ils allaient faire. Je les comprenais. Aujourd’hui, ils en ont à foison si bien qu’aujourd’hui, les radios ne font que diffuser de la musique béninoise à plus de 90%. Je profite de l’occasion pour remercier tous ces promoteurs de radios qui accompagnent la musique béninoise.
Vous êtes en préparation pour sortir un album. Qu’est-ce que vous réservez aux mélomanes ?
Je suis aussi un compositeur, un parolier. Il y a des chansons à succès de plusieurs artistes qui sont de moi. Je ne savais pas au départ que je pouvais chanter avec ma voix, mon timbre vocal. Cette fois-ci, j’ai voulu m’essayer dans la chanson. Donc, j’ai décidé de mettre sur le marché un album pour égayer les mélomanes. J’en profiterai pour organiser un jubilé c’est-à-dire pour célébrer mes 50 ans de carrière avec la musique. Tous ceux qui m’ont suivi depuis longtemps savent que je n’ai pas lâché la musique même si j’exerce d’autres activités parallèles. Durant tout mon parcours, la musique me suit toujours partout comme une silhouette. L’album sortira bientôt et qui comportera six (06) titres. Je suis accompagné dans l’orchestration dans deux (02) titres par mes anciens amis du groupe Les Sphinx du CEG Gbégamey. Ils sont des amis avec qui j’ai fait la musique depuis 1975 et qui vivent encore parmi nous. L’album aura pour titre «Edjidodo», ce qui signifie en langue Mina le courage, la patience et la persévérance.
Avez-vous un message à adresser à tous ceux qui vous ont connu depuis 50 ans dans la musique ?
Je remercie du fond de mon cœur tous ceux qui m’ont aimé, qui m’ont encouragé malgré les déboires que j’ai connus dans la musique. J’ai traversé de nombreuses rivières, des monts et des vallées. Malgré toutes ces péripéties, je suis encore là grâce à eux. Je ne peux pas citer le nombre de fois que j’ai voulu raccrocher, mais la musique m’a toujours attiré et je continue sur ce chemin.
Propos recueillis par Jean-Discipline Adjomassokou