Dominique Zinkpè est un artiste plasticien béninois contemporain. Ses œuvres continuent de faire le tour du monde. Le retour aux sources pour les Africains est une nécessité pour lui pour réaliser le destin de notre continent. Au-delà de l’artiste qu’il est, Dominique Zinkpè prend à bras le corps le combat pour le retour des valeurs culturelles pillées ou volées par les occidentaux pendant la conquête coloniale. Dans cette interview, il exprime ses ambitions sur l’art et la culture.
Comment définissez-vous l’art à travers vos œuvres ?
L’art est un sujet pluridimensionnel. À travers mes œuvres, l’art peut être défini comme une passion. On fait entendre ce que l’on voudrait faire voir, sentir, toucher, raconter ou former par nos médiums grâce à la peinture, la sculpture, les dessins, la photographie et les installations (…). Il est aussi un engagement qui s’exprime par des représentations des faits sociaux, de ce qui semble étrange et même les tabous au grand public. Il faudrait noter de même que l’art est un outil de communication. Puisque tout ce qu’on réalise et produit a des échos sur toute personne qui s’y intéresserait.
Quelles sont les disciplines que vous abordez à travers vos œuvres ?
Particulièrement, je travaille la sculpture pour me rapprocher de mes origines, la peinture pour traiter tout ce qui a trait à l’universel. Je fais appel à la diversification pour ne pas me confiner dans une écriture plastique qui m’empêcherait d’explorer d’autres cieux.
Est-ce que votre appartenance à la culture Fon influence d’une manière ou d’une autre la réalisation de vos œuvres ?
Il est évident qu’il y ait une influence de culture dans le rendu de mes œuvres. Et surtout, les milieux dans lesquels j’ai grandi peuvent en être la cause. Au cours de mon cursus d’ailleurs, j’ai vécu dans plusieurs villes à savoir Abomey, Ouidah, Comè, Porto-Novo et Cotonou. J’ai grandi à Abomey où les temples bondent un peu partout et abritent presque toutes les ruelles, un jeune artiste curieux ne pouvait pas se passer de ces faits. Les nuits sont souvent animées tantôt de cérémonies ou des rituels et aussi de chants. Du coup, il arrivait que lorsqu’on ferme même les yeux, on s’imagine vivre des scènes des adeptes du « Vodoun ». La partie la plus intéressante est le fait qu’en ces temps, par curiosité, j’ai commencé à fréquenter certains Couvents. Et comme il n’était pas interdit qu’un jeune y entre avec un calepin et quelques crayons ou de quoi écrire, l’aptitude de dessiner ou de représenter ce que je pouvais voir était inéluctable (…)
En tant qu’artiste ayant une grande affection pour la culture béninoise, que vous inspire le fait qu’un prêtre affirme ceci : « Dire que le Bénin est un pays Vodoun est suffisant pour écoper de malédictions » ?
Chacun est libre de ses opinions puisque nous sommes dans un pays démocratique. Mais pour ne pas contribuer à la promotion de l’acculturation, je pense que nos parents n’ont pas connu les Juifs ni les Catholiques au départ mais c’est grâce à la sagesse de ceux-ci qu’ils ont accepté de concéder des terres à telle ou telle religion. Aujourd’hui, des églises, des mosquées et des couvents sont côte à côte et ne sont plus objets de polémique. D’ailleurs, il faut noter que le Bénin est connu et a été connu pour cette richesse culturelle qui vit en son sein depuis des millénaires. Comme nous sommes aussi dans un pays laïc, ces dires ne sont pas condamnables. Mais dire une telle chose est de procéder à une sorte de jugement sur les autres religions. n’est pas bien. On peut être de culture Vodoun sans être adepte du Vodoun. Je pense qu’ii y a là une différence que nous devons expliciter.
En quoi les statuettes IBEDJI relèvent d’une importance capitale dans la réalisation et la production de vos œuvres artistiques ?
Travailler avec les statuettes IBEDJI, est une façon de réclamer sa légitimité. S’il y a une chose qui me fascine, c’est qu’elles représentent et célèbrent la naissance d’un être humain, d’un Homme et me rappelle aussi mes origines. A cet effet, j’aime bien emprunter la phrase d’un frère à moi, Romuald HAZOUME qui dit souvent qu’il « faudrait savoir d’où l’on vient pour savoir plutôt où l’on va. Jai juste remarqué à mes dépens que dans la sous-région ouest-africaine, IBEDJI au Nigeria signifierait » Hoho » le culte des jumeaux. Au Bénin, il y a aussi l’existence de ces statuettes. Au Togo, on les appelle » Vénanvi » ce qui est pareil au Ghana de même . C’est une des rares statuettes qui n’est pas sacralisée.
Dans la culture béninoise, on peut voir aussi les représentations de Yèvioso, de Egungun, de Dan et autres. Dites-nous, pourquoi avez-vous choisi particulièrement les IBEDJI comme outils de travail ?
Elles sont justes naturelles et c’est profond. Je les ai choisies pour conserver et valoriser mon identité culturelle. Et si l’intelligence africaine a permis à ce qu’on célèbre une naissance, il faut avouer en toute honnêteté que cette dernière est la bonne. Je les utilise aussi pour plus les symboliser. Et leur donner une nouvelle écriture en même temps que les magnifier.
À visiter vos œuvres, l’on a l’impression de surfer dans un monde de couleurs où esprits et humains s’entretiennent. Concrètement, est-ce un courant de pensée abstrait que vous prônez ?
Oui, il est possible que mon travail soit axé sur l’abstrait. Dans plusieurs religions, on concède plus de valeur à l’âme et à l’esprit. Mais moi, au niveau de mon travail pictural, l’âme et l’esprit sont devenus une quête de recherche. J’essaie même de rechercher l’équilibre entre l’être humain et l’animal pour savoir à quoi pourrait ressembler l’âme. Puisqu’on ne peut photographier l’âme, ni la voir. On peut quand même l’imaginer.
Ne pouvons-nous pas dire que l’idée de promotion et de valorisation des artistes plasticiens et de leurs œuvres sont discutées entre mythe et calvaire au Bénin ?
Il n’est pas impossible que nous en arrivions à une promotion et à une valorisation effective des artistes. Donc, ce n’est non plus un mythe ou une illusion. Le secteur présente plusieurs facettes. Au Bénin, la plupart des artistes plasticiens, sculpteurs et peintres sont des autodidactes. Et ils travaillent et veillent à ce que l’art ne meurt pas. Même s’ils sont parfois exposés à des rudes épreuves non confortables, ils essayent, malgré que nous ne possédons pas une école de beaux arts. Notons que la promotion et la valorisation de leurs œuvres et d’eux-mêmes arpentent de plus en plus les lignes du succès même si le chemin pour y arriver est boueux et crasseux. Félicitatons aussi nos politiques qui pensent davantage à comment réorganiser notre secteur.
Dites-nous quelle est la réelle mission de Boulev’art dont vous êtes le promoteur ?
Le projet Boulev’art a vu le jour suite à une frustration alarmante. J’ai eu à constater que pendant des années, les artistes plasticiens, sculpteurs, peintres et autres, sont plus célébrés et valorisés ailleurs que chez nous. Des fois, des gens ne savent pas trop ce que nous faisons, que nous avons quelque chose de très spécial pour notre société. Les artistes sont des gardiens de mémoire. Boulev’art, d’une part, a été créé pour célébrer, et valoriser les artistes plasticiens et leurs œuvres. De même, un des objectifs de Boulev’art est de faire découvrir les artistes à toutes les couches de la société. Et pour que le projet soit effectif, nous avons commencé par démystifier l’art pour dire de lui qu’il est plus que ce que nous croyons et qu’il est capable de soigner un malade.
Qu’est-ce qui fait que les objets d’arts ne sont pas autant consommés chez nous qu’ailleurs ?
Il est question de culture. Les valeurs d’une œuvre d’art sont sous-estimées chez-nous. Alors qu’en Occident par exemple, les choses ne se présentent pas de la même manière. Il y a aussi la question du sous-développement qui fait que le marché de consommation des œuvres d’art n’est pas animé comme nous l’aurions souhaité.
Est-il concevable que l’art ne soit pas autant valorisé comme tout autre secteur alors qu’on sait que, parler d’art, c’est de parler de culture … ?
On ne peut pas concéder une telle chose. Je pense que le marché de consommation des objets d’art est de plus en plus organisé aujourd’hui qu’hier. Puisque, la nouvelle génération fait plus de pas vers la consommation des œuvres d’art. Et aussi, des actions comme la réhabilitation et la construction des palais royaux ou encore de la restructuration du secteur, donne un peu plus de lumière à nous artistes. Et pour cela, j’ai du mérite pour nos autorités. Puisqu’il faut tout de même reconnaître qu’elles ne peuvent pas tout faire si nous ne nous associons pas, et que nous ne travaillons pas sur une même lancée.
On ne peut parler d’art sans faire allusion à la culture. Que pensez-vous du fait que la culture Vodoun soit de plus en plus mystifiée ?
On peut dire des influences, mais la culture est plus résistante. La culture, quoiqu’on fasse, restera culture. Imaginez-vous que la culture Vodoun existe depuis des millénaires. Donc, si elle a pu résister et survivre jusqu’aujourd’hui, convenez-vous avec moi qu’elle ne peut mourir ou être enterrée juste pour des velléités nonobstant.
Quelles sont les perspectives futures pour hisser davantage les artistes plasticiens, sculpteurs, peintres, photographes et leurs œuvres ?
Je ne pourrai que donner des pistes à ce sujet. Le plus grand travail revient aux dirigeants et plus précisément le ministère de la culture. Il faudrait créer et construire des cadres adéquats pour les artistes afin qu’ils aient l’opportunité de travailler, d’apprendre pour se perfectionner. Qu’ils aient aussi de quoi créer, et disposés des endroits où exposer. Le Bénin n’a pas un centre culturel digne du nom. Même s’il y a un qui est en train d’être pensé , il faudrait qu’il ait plus d’actions. Il faudrait aussi que des actions soient mises en exécution pour permettre aux artistes béninois de vendre leurs œuvres en dehors du Bénin. Ce qui me réjouit quand-même, est le fait que les artistes béninois sont dynamiques et optimistes.
Qu’est-ce qui explique selon-vous, le fait que le marché de consommation des œuvres d’art soit plus restreint au Bénin contrairement à ce qu’il en est au Nigeria et au Burkina Faso ?
Il serait compliqué de l’expliquer. Retenez que nous sommes en retard par rapport aux autres surtout le Nigeria. J’ai même une galerie là-bas (Nigeria). Et les artistes nigérians que j’ai fréquentés, il arrive qu’ils n’aient même pas envie d’aller exposer leurs œuvres à l’extérieur parce qu’ils ont, selon moi, tout ce qu’un artiste peut rechercher chez eux. L’art est célébré comme une fierté chez eux. Je vous donne un exemple, ils ont des écoles de beaux arts ce qui fait qu’on ne peut les comparer au Bénin sur certains plans. Au Benin, nous disposons à peine de deux galeries d’arts et c’est tout çà qui fait que le marché de l’art n’est pas tel qu’on le souhaite. Ce qui est parfois déplorable est que les gens confondent l’artisanat et le travail de l’artiste.
Ne croyez-vous pas qu’il peut avoir des trucages dans la restitution des biens culturels dans le processus de rapatriement des œuvres d’Afrique en France ?
Je ne crois pas que des œuvres vont être truquées. Parce que, les œuvres sont numérotées et sont traçables. Du coup, il serait vraiment difficile, voire impossible de les truquer. Même si c’est fait avec la technologie, on le saura. Mais mon plus grand regret est, est-ce qu’on aura les œuvres de valeur ? Puisque les 26 œuvres qui nous serons envoyées, pour ma part, je ne crois pas qu’il y aurait des œuvres de valeur dedans. Par exemple, le trône du Roi GUEZO et celui de son épouse ne nous seront pas restitués alors que ces œuvres sont des pièces très importantes et majeures pour nous en tant que propriétaires légitimes de ces œuvres. Il faudrait que des œuvres de valeur nous soient restituées. J’espère que la démarche entamée par le président Emmanuel Macron pour la restitution des œuvres ne se limitera pas à 26 œuvres. Nous voulons la restitution complète et totale des œuvres pillées ou volées. Parce-que nous avons le droit de les réclamer.
Propos recueillis par Arnauld KASSOUIN