Les accidents de la route sont légion à Cotonou et dans tout le Bénin. La prise en charge des victimes est souvent confrontée à des difficultés. Le Professeur Aristote Hans-Moévi Akué nous renseigne sur le sujet. Il est chef de Service de la Clinique Universitaire de Traumatologie, Orthopédie et Chirurgie Réparatrice, puis Coordonnateur D.E.S. de Traumatologie-Orthopédie du Centre national hospitalier et universitaire (Cnhu) Hubert Koutoucou Maga de Cotonou. Aristote Hans-Moévi Akué est spécialisé dans la prise charge et le traitement des fractures des luxations, des douleurs articulaires et de tout ce qui résulte des accidents et de leurs conséquences. Il nous explique dans cette interview la pratique de la prise en charge des victimes d’accident de la route au Cnhu de Cotonou et les dispositions à prendre pour limiter les pertes en vies humaines.
Comment se pratique au Cnhu de Cotonou la prise en charge des victimes d’accident de la route ?
La prise en charge des victimes d’accident de la route se pratique presque comme toutes les maladies, mais en particulier les accidentés de la route arrivent au Cnhu dans le cadre des urgences. Un accident n’étant souvent pas prévu, les blessés sont récupérés par les Sapeurs pompiers dans la plupart des cas et par le Samu dans des cas plus rares. Ces deux types de véhicules les conduisent dans les services d’urgence du CNHU. Un certain nombre d’accidentés viennent par des taxis ou par des véhicules personnels. Arrivés au service des urgences, ils sont accueillis par une équipe médicale. Chaque accidenté doit préalablement payer le droit de passage fixé à 14.000 FCFA. Ce qui permet à l’équipe médicale de les examiner, de les prendre en charge et de pouvoir commencer le traitement.
Comment s’effectue le traitement des blessés selon qu’ils soient des fonctionnaires ou des particuliers ?
Ce n’est pas toujours facile. Néanmoins ceux qui sont des agents de l’Etat et qui bénéficient d’une prise en charge de l’Etat ont, en théorie, une diminution des coûts. L’Etat prend en charge 80% des frais de soin. Mais lorsque vous arrivez la nuit, le week-end ou de façon imprévue, vous n’avez pas la prise en charge dans la poche. Quand vous arrivez, vous déclarez que vous êtes un agent de l’Etat, mais cela ne donne qu’une présomption. Il faut généralement que la famille aille dans le service du patient pour qu’on lui délivre une prise en charge à présenter pour bénéficier de la diminution des coûts. Les frais de soins immédiats doivent être pris en charge par le patient pour que les soins puissent commencer. Ce n’est que secondairement que la prise en charge agit parce qu’on n’a pas la preuve immédiate. Les autres sont des particuliers et ils payent de leur poche.
Existe-t-il un budget au Cnhu de Cotonou pour assurer la prise en charge des premiers soins aux personnes victimes d’accident de la route ?
A ma connaissance, nous n’avons pas un budget dans ce sens. Il y a eu un moment où on pouvait faire jouer le service social. Mais depuis un certain temps, les agents du service social déclarent qu’ils n’ont aucun moyen, qu’ils sont démunis et qu’ils sont dans l’incapacité de leur venir en aide. Dans les cas d’extrême urgence où la vie est en danger, l’administrateur de garde c’est-à-dire le représentant du Directeur qui assure la garde administrative est sollicité ne serait-ce que pour nous donner un flacon de sérum ou de petits moyens pour commencer la prise en charge.
Comment défendez-vous les cas où les patients arrivent sans parents et sans argent ?
C’est des cas qui arrivent très souvent. Vous imaginez qu’il y ait des gens qui sont très pauvres. Ils n’ont pas de moyens réellement. Deuxièmement, la plupart des accidents comme je l’avais mentionné auparavant, ne sont pas programmés, ni organisés. Donc tout accidenté est surpris. Or, les gens sortent de la maison sans avoir de l’argent. Même si quelqu’un est riche et il sort seul sans argent dans la poche et s’il arrive un vendredi soir, il faudra attendre lundi pour que la famille aille à la banque retirer de l’argent. Il faut aussi que la famille soit prévenue. Ce qui veut dire que les situations où les patients n’ont rien à dépenser sont fréquentes. Il peut même arriver que des gens qui potentiellement ont de l’argent viennent et il est très difficile de les soigner quand ils n’ont rien. Je me souviens du cas malheureux d’un jeune d’environ la vingtaine qui était arrivé et qui n’avait pas sa carte d’identité dans la poche. On ne connait pas son identité. Il a eu un accident grave avec un choc à la tête parce qu’il n’avait pas porté le casque sur la moto. Il était dans le coma, incapable de donner son nom, ni le numéro de téléphone de ses parents. Il n’avait rien dans la poche. Alors que son père était quelqu’un qui avait beaucoup de moyens. Cet enfant est malheureusement mort parce qu’on n’avait pas les moyens de le soigner dans l’immédiat.
Lorsque c’est un choc au niveau du ventre et que le patient saigne à l’intérieur du ventre, ce qu’on appelle une hémorragie interne, il faut transfuser dans l’heure immédiate. Si on ne lui fait pas à l’heure qui suit une transfusion sanguine, le patient meurt. Et dans ce cas, on a des étudiants en médecine, des infirmiers, des aides-soignants et des gens qui font la garde qui cotisent leur propre argent 500 francs par personne pour acheter une poche de sang. Il n’y a rien qu’on puisse donner à un patient si ce n’est pas payé.Nous avons posé à plusieurs reprises ce problème et effectivement il y a un problème psychologique et social chez nous les Béninois. Parce qu’on suppose à tous que c’est la responsabilité de l’État. L’hôpital appartient à l’État. Si l’hôpital me soigne gratuitement. Je suis citoyen. C’est mon droit. Et quand on leur demande de rembourser, les gens ne remboursent pas. Du coup, on ne peut pas continuer de donner et de vider les caisses de l’État pour des gens pour lesquels on n’a pas la certitude que ça va être remboursé. Si on fait les soins à crédit, il faut que les gens payent. Sinon, le prochain n’en aura pas. C’est la raison pour laquelle l’État n’arrive plus à mettre de l’argent à la disposition de l’hôpital. Comme on le dit, ce serait le tonneau des Danaïdes parce que vous versez dedans et ça coule. Si le Béninois avait compris la nécessité de rembourser, ce serait plus facile parce qu’on peut négocier, faire un plaidoyer au niveau du ministère de la santé et au ministère des finances pour qu’on crée une cagnotte et qu’on mette à notre disposition un nombre de matériels urgents qu’on peut puiser et sauver la vie dans l’urgence. Une fois que c’est fait et le malade revient à la vie, la famille qui constate qu’on l’a sauvé doit payer.Mais, le Béninois n’aime pas payer. Cette mentalité est un frein si bien que beaucoup de vies humaines sont perdues simplement parce que nous ne sommes pas sérieux.
Que dîtes-vous de la prévention ?
La deuxième chose très importante qui me vient à l’esprit est la prévention. Je vous avais donné l’exemple malheureux d’un jeune qui est mort bien que ses parents soient riches. S’il avait porté le casque en roulant à moto, peut-être qu’il aurait eu le choc à la tête. Et cela aurait été moins grave. Ça aurait été un choc léger qu’on aurait traité et lui sauvé la vie. Nous ne sommes pas sérieux puisque je vois tout le temps dans la circulation, des jeunes à moto qui font des slaloms croyant être beaux, croyant qu’ils sont des héros de la circulation alors qu’ils mettent leur vie en danger. Il suffit de tomber et une voiture leur roule dessus. Ils le font parfois devant des camions qui n’ont jamais de frein. Après, on les voit venir avec le crâne fracassé ou la jambe éclatée et même le pied coupé. Voilà les situations que nous observons aujourd’hui. C’est parce que la prise de conscience n’est pas au rendez-vous.
Il peut arriver que le Cnhu soit débordé par le nombre de patients. Comment gérez-vous le flux supplémentaire ?
Ça c’est encore un autre problème délicat. Mais vous mettez chaque fois le doigt sur des points difficiles. C’est vrai nous avons souvent des ruches c’est-à-dire des arrivées de malades en grand nombre. Ce n’est pas seulement lorsqu’un camion ou un bus se renverse. Il suffit d’avoir deux ou trois accidents dans une journée pour qu’on soit débordé. Encore que le service des urgences ne dispose que de trois salles d’opération. Une salle d’opération est dédiée à la chirurgie du ventre. Une autre pour la chirurgie osseuse comme la nôtre et la troisième est polyvalente. Mais ce ne sont que les infrastructures. Dans ces infrastructures, il faut des ressources humaines. Les hommes qui travaillent dans ces infrastructures ne sont pas nombreux. Du coup, nous ne pouvons pas opérer simultanément dans ces trois salles. C’est la même équipe qui fait la garde et qui va d’une salle à l’autre. Quand ils sont occupés à opérer un enfant qui a une urgence au niveau de l’abdomen, une appendicite par exemple, les gens qui ont des fractures sont obligés d’attendre. C’est quand ces opérations finissent qu’on peut passer à la prise en charge des suivants. Résultats, c’est que les patients qui ont mal, qui sont blessés et qui attendent leur tour sur les brancards se plaignent quand leurs familles arrivent. Ils disent qu’ils sont là depuis 24 heures, et personne ne s’occupe d’eux. Ils qualifient les agents du Cnhu de mauvais et de paresseux. Voilà la renommée que nous avons alors que le système fonctionne sans arrêt 24 heures sur 24.
Quels sont les cas que vous enregistrez le plus souvent en ce qui concerne les accidentés de la route ?
Pour ce qui concerne les victimes d’accident, la plus grande fréquence, ce sont les traumatismes du crâne c’est-à-dire le choc à la tête. C’est parce que nous avons beaucoup de motos et les gens qui roulent à moto sont plus exposés. Vous imaginez quand deux motos se cognent, ils tombent et la tête touche le sol. Ça fait un traumatisme crânien. Quand une voiture renverse un motocycliste, c’est le motocycliste qui est le plus vulnérable. Il va tomber et se fracasser la tête. C’est encore pire quand il s’agit d’un camion. Donc, les traumatismes crâniens sont très fréquents. La deuxième fréquence, ce sont les chocs au niveau du genou. Lorsque vous circulez à moto et qu’il y a un obstacle devant, vous avez tendance à l’éviter. Pendant ce temps, si ce n’est pas la tête, c’est le genou du côté qui va vers l’obstacle qui prend le coup. En ce moment, nous avons des fractures du fémur distase c’est-à-dire la partie basse de l’os de la cuisse et des fractures du plateau tibial c’est-à-dire la partie haute du tibia. Le troisième élément de fréquence, ce sont les fractures de la jambe. Et là, ce sont souvent des fractures ouvertes qui sont très graves, qui malheureusement s’infectent. Ils doivent normalement être pris en charge en urgence. Mais, nous n’avons pas toujours les moyens. On arrive à le faire très rarement à temps. Les fractures ouvertes doivent être opérées dans un délai de 6 heures. Mais pour que le patient puisse rassembler les fonds qui vont permettre la prise en charge de son opération, et pour que nous puissions obtenir la plage horaire pour la salle d’opération, la moyenne de temps perdu est d’environ trois à quatre jours. Et quand nous arrivons à les opérer, généralement les fractures sont déjà infectées. Et cela rentre dans un cycle difficile d’infections et d’opérations multiples allant jusqu’à l’amputation.
Vu la fréquence des cas des fractures à la jambe, allez-vous conseiller aux motocyclistes le port d’une autre protection en plus du casque qui est déjà en vigueur ?
A ma connaissance, il n’y a pas une autre protection à ajouter. En réalité, il faut déjà que le casque soit porté par tous. Lorsque vous observez dans la circulation, le casque n’est pas porté à 100% par les conducteurs de moto, ni les Zemidjan (Taxi-moto). Au moins 20% des conducteurs n’ont pas de casque. Ensuite, les passagers de moto qui sont derrière n’ont jamais de casque. Pour revenir à la question, j’ai vu en Europe des motocyclistes qui font de la grosse moto. Il ne s’agit pas des petites motos que nous avons ici. Ils portent des combinaisons en cuir avec des renforcements au niveau du genou. Mais ces combinaisons sont adaptées aux grosses motos qui roulent à 280 km/heure. C’est un jeu ou un loisir pour eux. Il ne s’agit pas des motos qui nous permettent d’aller de la maison et au bureau. Chez nous, le mode vestimentaire n’est pas du tout celui-là. Quand ce n’est pas un blue-jean avec une chemise, c’est un ‘’Bomba ou Datchigui’’ (Tenues locales). Où allez-vous mettre une combinaison ou des genouillères alors que vous allez à la messe du dimanche. En voulant quitter votre maison, normalement, vous devez pouvoir rouler à 50 km/heure dans votre couloir. Encore que le ministère de l’intérieur a désormais prévu des couloirs pour les motos sur certaines routes. Si vous respectez toutes consignes et que vous ne faites pas des jeux au milieu de la route, cela suffit à éviter les accidents et à limiter la gravité des accidents. Sinon, on serait obligé de demander à tout le monde de porter des combinaisons en cuir pour pouvoir circuler à moto. Ce qui est impossible sous le soleil de Cotonou.
Certains matériels de travail notamment ceux utilisés pour le déplacement des malades font défaut. Quelles doléances faites-vous pour leur remplacement ?
Nous faisons les doléances chaque année. Nous avons une liste de matériels que nous adressons à la direction de l’hôpital et nous espérons que cette liste soit transférée au ministère de la santé. Mais à chaque fois, il nous laisse entendre qu’il y a une limitation ou une insuffisance de budget. On n’est pas souvent satisfait. Mais nous espérons qu’un jour, ils comprendront l’utilité de mettre le matériel à notre disposition.
S’il arrivait que deux bus entraient en collision ce matin, l’hôpital a-t-il suffisamment de matériels pour répondre convenablement ?
Matériels ? J’ai des doutes. Je ne suis pas sûr. Mais bon, ce sont des cas qui arrivent souvent. Quand c’est ainsi, il faut d’abord faire le premier tri : ce qu’on appelle le tri des patients. On regarde les cas les plus urgents. Sans vouloir choquer le public, il y a des cas qui sont dépassés. Les morts par exemple sont les derniers dans ce domaine. Ensuite, on va voir parmi ceux qui sont vivants, les cas les plus graves. Et là, on essaie d’aller plus vite pour sauver les vies et prendre des mesures conservatoires pour que les situations ne s’aggravent pas. Et c’est après, qu’on s’occupe des cas les moins graves ou plus légers. Donc, il y a une hiérarchisation des cas qui nous permet de sauver le maximum. La deuxième chose est que nous appelons les secours. Tous les collègues qui peuvent apporter un coup de main sont réquisitionnés. Nous appelons aussi les réanimateurs. Ce sont eux qui assurent la survie des gens. Ils les réaniment. Ils les maintiennent en vie afin que nous puissions régler les problèmes des blessures. Voilà à peu près la stratégie qui est mise en place pour sauver le plus grand nombre en sachant qu’en situation de catastrophe, il y a toujours des pertes en vies humaines.
Pour terminer cet entretien, avez-vous des conseils à prodiguer à l’endroit des usagers de la route ?
Le premier conseil en ce qui concerne les accidents de la route, c’est la prévention. Tout ce que l’on peut faire pour éviter les accidents, il faut que chacun y pense. Lorsque vous voyez des camionnettes, des minibus qui circulent ou les camions qui chargent des marchandises bien que leurs pneus soient lisses, il faut les éviter. Ils constituent un danger dans la circulation. Ils n’ont pas souvent de clignotants. Vous voyez l’apprenti qui, à côté du chauffeur, sort un chiffon avec son bras. Et c’est avec ça qu’il veut signaler le changement de direction. Ces véhicules ont quand même la visite technique qui est à jour dans le livret de bord et par quelle magie ? Comment des épaves dans cet état peuvent-elles circuler avec des papiers à jour et alors qu’il n’y a rien qui fonctionne là-dessus ? Ils causent des accidents graves. Un pneu éclate, le véhicule fait des tonneaux et tous les passagers à bord ont leur vie en danger. Le jeune qui roule à moto. Il faut qu’il soit prudent. Ce n’est pas la vitesse à moto ou la prise de risque qui fait qu’on est un jeune homme viril et admiré. Ce n’est pas sur ce plan qu’on va se faire admirer. Il faut aller se rendre utile au travail et participer au développement du pays. C’est essayer de travailler, s’enrichir et gagnez sa vie. Même avec les chargements de voitures bâchées et des camions qui débordent latéralement ou vers le haut, tout cela peut tomber. Il suffit que les cordes qui l’attachent se brisent. J’ai assisté à un accident au niveau du carrefour Coca Toyota où les marchandises d’un camion surchargé sont tombées sur des usagers à moto qui roulaient juste à côté. Ce sont des accidents que nous pouvons éviter. C’est à mon avis, le point sur lequel il faut mettre l’accent. Le deuxième point, je vais encourager tous les Béninois quel que soit leur niveau de vie à souscrire à l’ARCH qui est une assurance que l’État est en train de mettre en œuvre. Lorsque vous avez votre carte de l’ARCH, elle vous donne droit aux soins. Et vous cotisez à petit coût et pas beaucoup. Il ne faut pas voir que je cotise 10.000 ou 5.000 francs CFA par mois pour dire que je perds mon argent. Mais le jour où il y a un problème et vous aurez besoin de soins, même si la facture dépasse le million, l’institution va payer et vous prendra en charge. Il faut qu’on comprenne et qu’on accepte de sacrifier les petits montants qui vont être demandés pour que vous soyez tous membres.
Propos recueillis par Hubert Kidjassou