Selon des sources internes à l’Association des raffineurs des oléagineux du Cameroun (Asroc), quatre nouveaux opérateurs sont annoncés sur le marché au cours des mois à venir. Parmi ces nouveaux arrivants, apprend-on, l’on retrouve la Société de raffinage du Cameroun (Sorac), contrôlée par l’opérateur économique Nassourou Alhadji Issa, qui ambitionne de mettre sur le marché 100 000 tonnes d’huile raffinée chaque année. Il y a aussi la Nouvelle raffinerie du Cameroun, entreprise contrôlée par Fabrice Siaka, promoteur du groupe Sodinaf, qui a repris en 2018 les actifs du forestier français Rougier au Cameroun et en République Centrafricaine.
Ces quatre unités agro-industrielles viendront s’ajouter à la société Novia, qui a lancé ses activités dans la zone industrielle de Bonabéri à Douala, la capitale économique du Cameroun, il y a environ 5 mois. Grâce à un investissement de plus de 50 milliards de FCFA, ce complexe agro-industriel sorti de terre après plus de 2 ans de travaux, et qui a permis de créer plus de 300 emplois, est doté d’une capacité de production journalière de 500 tonnes d’huile raffinée, contre 8 tonnes de savons, apprend-on de sources internes à l’entreprise.
Avec son huile de palme raffinée de la marque « Oleo », ainsi que les savons « Uno » et « Jazz », qui essaiment d’ores et déjà les étals des marchés et autres grandes surfaces du pays, Novia et les autres opérateurs attendus sur le marché viennent davantage animer la concurrence dans une filière pourtant en panne de matière première. Ce qui oblige les opérateurs à importer massivement de l’huile de palme brute pour approvisionner les raffineries de plus en plus nombreuses. « Pour le seul premier semestre 2023, les raffineurs ont déjà importé environ 150 000 tonnes d’huile de palme, ce qui équivaut au volume global des importations de toute l’année 2022 », souffle une source interne à la filière.
Un déficit structurel qui s’aggrave
C’est que, depuis de nombreuses années, en raison de l’augmentation plus rapide des capacités de transformation que des capacités de production de l’huile de palme brute dans le pays, le Cameroun affiche un déficit structurel annuel, qui culmine désormais à 160 000 tonnes depuis 2022, après 130 000 tonnes en 2020. « Le déficit structurel dont nous parlons souvent est un déficit nominal, qui est différent du déficit réel. Ce déficit nominal est calculé sur la base de 50% des capacités des entreprises de transformation. Sur la base des capacités réelles des transformateurs, le déficit est effectivement beaucoup plus important », précise souvent Emmanuel Koulou Ada, le président du Comité de régulation de la filière des oléagineux.
À en croire l’Asroc, la demande des unités de transformation industrielle de l’huile de palme brute, qui se multiplient au Cameroun, culmine de nos jours à plus d’un million de tonnes par an. Pourtant, selon les pointages du ministère de l’Agriculture, l’offre locale est passée de 343 000 tonnes en 2014 à 413 000 tonnes en 2018. Elle est projetée à 450 000 tonnes en 2024 par la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac). Afin de résoudre l’équation de l’augmentation sans cesse croissante de la demande des industries, face à une production insuffisante, en plus d’autoriser les importations, le gouvernement camerounais a instauré la politique des quotas dans la répartition de la production industrielle (la production des plantations villageoises n’est pas concernée, NDLR) aux transformateurs, en fonction de leurs capacités installées.
Une politique des quotas critiquée
« La pratique des quotas sur une matière première locale ne devrait pas exister dans une économie libérale. Cela se comprend davantage sur une matière première importée », soutient une source autorisée au sein de la filière. En effet, des voix s’élèvent désormais pour dénoncer cette pratique des quotas qui, selon certains opérateurs, installe de fait une sorte de concurrence déloyale entre les acteurs. « De facto, entre deux opérateurs, celui qui a un quota plus important, ou alors un quota qui représente souvent le double voire le triple de son concurrent, comme c’est le cas actuellement, peut mieux se développer. Ce qui n’est pas possible pour le concurrent, malgré les investissements, l’innovation et le déploiement commercial qui peut être le sien », fait remarquer notre source.
Afin de pouvoir compléter les quotas à eux attribués auprès des producteurs industriels d’huile de palme brute, les raffineurs n’hésitent pas souvent à recourir aux propriétaires des plantations villageoises, dont les superficies représentent quasiment le double de celles des plantations industrielles au Cameroun. Mais, apprend-on, les quantités d’huile de palme captées auprès de ces producteurs, qui disposent généralement de pressoirs artisanaux dotés de taux d’extraction d’huile de palme largement inférieurs à ceux des producteurs industriels, sont dérisoires. Ce d’autant que, souffle une source interne à la filière, le gros de l’huile de palme issue des pressoirs artisanaux, qui essaiment au sein et autour des palmeraies villageoises, est destiné aux savonneries. En effet, selon les acteurs de la filière, ces unités de transformation tolèrent l’utilisation d’une huile de palme brute de moins bonne qualité, ce qui n’est pas le cas des raffineries.
« Dans la mesure où presque toute l’huile produite dans les pressoirs artisanaux est achetée par les savonneries, rien n’explique que lors de la distribution des quotas sur la production des plantations industrielles, la répartition se fasse encore à parts égales entre les raffineurs et les savonneries. Compte tenu de la qualité de l’huile dont ont besoin les savonneries, il serait plus judicieux, par exemple, d’affecter les cargaisons importées aux savonneries, et de réserver exclusivement aux raffineurs l’huile de palme brute de bonne qualité produite dans les plantations industrielles du pays », suggère un opérateur.
Brice R. Mbodiam