Perpétue Dagbéto alias Dalina Pepe’s est une chanteuse béninoise qui a évolué pendant plusieurs années au sein de l’orchestre Poly Rythmo. Elle était la seule femme de cet orchestre légendaire. Elle déclare que la musique est une question de passion. Elle nous parle dans cette interview de son aventure avec Poly Rythmo, de sa vie et de sa carrière musicale.
Comment peut-on vous présenter aujourd’hui ?
Mon nom est Perpétue Dalina Dagbéto. Je suis une artiste chanteuse et mon nom d’artiste est Dalina Pepe’s. J’ai fait mes études scolaires et universitaires au Bénin. Je suis titulaire d’un master en gestion des ressources humaines. J’ai travaillé à la mairie de Cotonou. J’ai été chef service pendant plusieurs années avant mon admission à la retraite l’année dernière. La musique et moi, c’est une question de passion. Etant donné que je suis désormais à la retraite, je me donne le temps et la force pour revenir sur scène très bientôt pour faire plaisir à mes fans.
Quels étaient vos débuts dans la musique ?
Depuis mon enfance, j’aimais beaucoup la musique, la danse et je mettais la joie dans mon entourage. Mon feu père, Robert Dagbéto, encourageait chaque enfant à faire ce qu’il voulait pourvu qu’il travaille bien en classe. Lorsque nous allions en vacances au village, notre grand-mère organisait correctement notre séjour. Il y avait des groupes pour chanter, pour danser et aussi pour le conte. A notre retour à Cotonou, j’aimais chaque soir chanter, danser et raconter des contes à mon feu père. Il appréciait bien mes démonstrations. Au collège, il y avait à l’époque les coopératives scolaires. J’avais choisi la musique au Collège d’enseignement moyen général (CEMG) Sainte Rita de Cotonou. Au départ, mon père était réticent. Il a fallu l’intervention du surveillant général et du directeur du collège pour qu’il accepte mon choix. Mais à une seule condition, que je lui ramène les meilleures notes de classe. Moi aussi, j’ai respecté sa volonté jusqu’à la fin et il était très fier de moi. Mon père venait assistait à mes spectacles et pour m’encourager davantage, il m’offrait des habits pour aller sur scène. Dans cet établissement, il y avait aussi Nicodème Marie-Verger Fangbédji (Fanic) qui, pendant les récréations, transformait les tables de la classe en une batterie et les tapait à tue-tête jusqu’à les casser toutes. Après, j’ai poursuivi mon cursus scolaire au lycée Coulibaly de Cotonou. Dans cet établissement aussi, j’ai intégré le groupe musical où j’interprétais des chansons des artistes en vogue à l’époque. J’ai retrouvé Fanic au lycée Coulibaly. Un jour, mon amie Lucie Eliane Adjovi dont la grande sœur était l’épouse du chanteur Vicky Aménoudji du groupe Poly Rythmo m’avait demandé de l’accompagner pour assister juste aux répétitions de l’orchestre au quartier Djidjè à Cotonou. Je m’intéressais de plus en plus au travail du groupe et ils avaient commencé par m’accepter à faire les chœurs lors de leurs répétitions. Je m’appliquais à faire le travail avec eux. Lorsque je faisais des erreurs, le grand guitariste Zoundégnon Bernard alias Papillon était toujours à mes côtés pour me montrer les techniques à respecter. Il me donnait des exercices et des conseils pour m’améliorer. Lorsqu’ils avaient constaté une volonté de ma part et une évolution dans mes prestations, ils m’avaient intégré dans le groupe et je montais sur les scènes avec eux. J’étais encore une toute jeune fille entre 17 et 18 ans encore élève à l’époque. Etant donné que Poly Rythmo était le groupe phare en ce moment, j’avais eu la chance de faire le chœur de tous les grands artistes étrangers de passage à Cotonou que l’orchestre accompagnait. Donc, toute jeune, j’ai connu tous les artistes qui venaient au Bénin et qui qui faisaient la fierté de l’Afrique et du monde. J’étais devenue la seule femme du groupe. Nous jouions tous les vendredi, samedi et dimanche chez Dédé à l’Etoile rouge à Cotonou. A un moment donné, le public exigeait que je chante aussi. Je prenais le micro et je chantais et les gens m’appréciaient beaucoup. Le public m’encourageait à continuer dans la musique.
Quelle était l’ambiance au sein de Poly Rythmo à l’époque ?
C’était une très belle ambiance. Il y avait la fraternité. Les membres de l’orchestre s’amusaient, blaguaient et se taquinaient beaucoup. Il y avait la convivialité. Ils se comportaient comme s’il n’y avait pas de vie autre que celle de l’orchestre. Lorsqu’ils se retrouvaient pour les répétitions, il y avait toujours une bouteille de Rhum Saint James que tout le monde buvait dans le même verre pour montrer la solidarité dans le groupe. Poly Rythmo est un groupe que je n’oublierai jamais jusqu’à la fin de mes jours. Poly Rythmo m’a permis de faire beaucoup de scènes à tel point que la musique est devenue un amusement pour moi. Je montais sur scène au moins trois (03) fois par semaine, ce qui m’a permis de connaitre le public et de le maitriser. Les artistes étrangers qui venaient m’offraient des cadeaux parce qu’ils étaient toujours satisfaits de nos prestations.
Y avait-il des femmes dans le Poly Rythmo avant vous ?
Oui, il y avait des femmes artistes dans ce groupe avant moi. Je peux citer par exemple Sena Joy Jelia, Cella Stella etc. Mais elles n’ont duré dans ce groupe comme moi. J’étais la chanteuse féminine qui avait passé un très long moment avec l’orchestre Poly Rythmo. J’étais plus soudée au groupe et nous avions passé de très longues années de vie d’artistes ensemble. Nous avions voyagé pour des tournées en Afrique et en Europe notamment en France. Lorsqu’ils ont célébré les 50 ans de l’orchestre la fois dernière, ils n’ont pas hésité à m’inviter à les accompagner. Je dirai que Poly Rythmo m’a formé sur scène et m’a fortifié dans la musique. Les musiciens étaient mes pères, mes frères et mes amis. Poly Rythmo était une famille. Malheureusement, beaucoup d’entre eux ne sont plus de ce monde. Paix à leurs âmes.
Quel était votre secret à rester longtemps avec Poly Rythmo ?
Il y a d’abord l’éducation. Nos parents nous ont toujours dit de respecter et de servir les aînés pour bénéficier de leurs connaissances. J’ai fait Poly Rythmo pour apprendre la musique et ils m’ont appris la musique. J’étais à l’écoute de leurs critiques et de leurs conseils et j’en servais pour m’améliorer et avancer. C’est la raison pour laquelle j’ai duré avec cet orchestre. Et puis, ce groupe m’a permis de rencontrer les grands artistes du monde et de travailler avec eux. C’est un exploit dans ma vie. Les membres de l’orchestre me prenaient pour leur sœur. Ils ne me frustraient pas, ne me rejetaient pas. Ma collaboration avec eux se déroulaient dans le respect et la sincérité. Etant la seule femme parmi eux, ils m’apportaient tous les soins afin que je puisse rester parmi eux. Je rends hommage à Mèlomè Clément qui se comportait comme un père. C’était lui qui était venu voir mon papa pour avoir son autorisation pour intégrer l’orchestre et il avait rassuré mon père. Il me soutenait pleinement à tous les niveaux même lorsque nous voyagions pour aller à l’étranger. A un moment donné, les musiciens ne me considéraient plus comme une femme, mais plutôt comme un garçon et tout allait bien entre nous.
Quelle était la place de Zoundégnon Bernard alias Papillon dans l’orchestre ?
Si Poly Rythmo était une maison, je dirais que Papillon serait le chef de famille. Mèlomè Clément était le chef d’orchestre, mais le chef de famille était Zoundégnon Bernard alias Papillon. Il était l’organisateur du groupe. Il mettait la rigueur dans le travail de tout le monde. Il n’admettait pas le désordre lorsqu’il s’agissait de travailler. Il s’imposait à travers son travail. Il était un homme de parole. Tout rimait autour de sa personne et tout le monde aimait l’écouter. Il était le socle du groupe et en même temps, il se mettait au-dessus de tout pour mieux manager l’orchestre. Il mettait tout en œuvre pour faire régner l’entente et la bonne ambiance au sein du groupe. Il était simplement un grand homme de nature exceptionnelle. Il avait marqué positivement tout le monde.
Qu’est-ce qui a été réellement à l’origine de la chute du Tout-Puissant Poly Rythmo ?
La disparition brutale de Zoundégnon Bernard alias Papillon en était pour beaucoup dans la chute de Poly Rythmo. Son aura planait énormément sur tout le monde et il arrivait à tenir chacun des membres de l’orchestre. Son départ précipité a fragilisé la cohésion qui existait au sein des éléments du groupe. Après, il y a eu aussi le décès du batteur Léopold Yèhouessi. L’une des raisons de la chute de Poly Rythmo aussi est la femme. En matière de femmes, tout le monde connaissait les musiciens de Poly Rythmo. Ils en raffolaient. A un moment donné, la méfiance avait commencé par gagner le groupe. Les ragots et les mauvaises langues créaient la division et la distance des uns vis-à-vis et des autres. Ils n’étaient pas des salariés et à une période donnée, les membres manquaient de ressources pour vivre. La rupture de contrat avec Albarika Store avait aussi affaibli l’orchestre.
Regrettez-vous d’avoir été membre du Tout-Puissant Poly Rythmo ?
Pas du tout. Au contraire, c’est un orchestre qui m’a musicalement formé, moulé et élevé. J’ai beaucoup bénéficié de Poly Rythmo. Et puis, on ne peut pas chiffrer le service que Poly Rythmo a rendu au Bénin. C’est énorme et inimaginable. Si c’est à recommencer, je le ferai. L’orchestre était incontournable. Les gens connaissaient le Bénin dans le monde à travers Poly Rythmo. Je ne le regrette pas.
Comment avez-vous pu évoluer dans la musique sans Poly Rythmo jusqu’à ce jour ?
Il faut reconnaitre qu’à l’université, j’ai intégré le groupe les Kasseurs dirigés à notre époque par Lazare Sèhoueto. Je chantais avec Paul et Claire Ayémona, Eric Houndété, Antoine Dayori, Arifari Bako, Soumanou Toléba etc. Je profite de cet entretien pour avoir une pieuse pensée pour Cécilia Lalayè et Appolinaire Soglo qui ne vivent plus parmi nous. Donc, je n’étais plus fréquente dans le Poly Rythmo. Néanmoins, lorsqu’ils avaient un grand concert, ils me faisaient appel et j’y répondais. Après mes études, il y a eu le mariage et l’arrivée des enfants sans oublier la vie professionnelle. Tout cela m’a éloignait de la scène. Mais je n’ai pas baissé pour autant les bras sur le plan musical. En 2001, j’ai sorti un album intitulé ‘’La passion’’ en duo avec Ayélo Castella et réalisé par Nel Oliver. C’est un disque qui a connu un succès auprès du public et les gens fredonnaient ma chanson ‘’Signin Gangan’’. Il a remporté un prix au Midem en France. Je pense faire le remix de cette chanson très bientôt parce que les mélomanes continuent de la réclamer. Je salue au passage Ayélo Castella et Nel Oliver pour la qualité de ce travail. Après cette merveilleuse expérience, j’ai mis sur le marché trois (03) singles et un album de dix titres consacré au gospel pour glorifier l’Eternel. J’arrive toujours à rentrer dans mes fonds à la sortie de chaque œuvre. Lorsque je fais des tournées, le public m’accueille favorablement.
Quel avenir réservez-vous aujourd’hui à votre carrière ?
Mon souci aujourd’hui est de revenir sur scène. Je possède un grand nombre de morceaux. Je compte les travailler et aller en studio pour les sortir. Je pense reprendre certains pour les adapter au style en vogue aujourd’hui. Je veux me relancer et non raccrocher.
Quel est votre regard sur l’état de la musique béninoise aujourd’hui en tant qu’une des aînées ?
Cela me fait mal au cœur à des moments donnés et la joie également à des moments donnés. Je retrouve cette joie à travers certains artistes qui savent réellement ce qu’ils veulent et qui se donnent vraiment au travail. Selon moi, la musique est un art qui doit servir à l’éducation des mélomanes. Les chansons doivent véhiculer des messages de paix, d’amour, d’éducation, bref, des messages instructifs. Mais tout ce que nous constatons est que tout tourne autour du son. On se préoccupe uniquement du son et non du message. Les messages sont délaissés. Le grand problème aussi est que tout le monde veut chanter aujourd’hui. Avant, le premier venu ne s’approchait du micro. Il faut d’abord travailler pendant longtemps dans un orchestre et être prêt avant de commencer par chanter devant un public. Aujourd’hui, quelqu’un qui ne sait pas ce qu’il veut faire de sa vie, sort un single à l’aide d’un ordinateur et il devient chanteur. Si c’est une fille, elle s’habille d’une manière extravagante et choquante et c’est pour exposer son corps parce qu’elle s’est improvisée artiste. Pour moi, c’est une affaire d’éducation. La femme doit incarner la femme. Elle est une belle créature que Dieu a créée, elle doit courir après sa dignité, sa fierté et se respecter pour mériter la valeur qu’elle incarne. Mais il y en a qui font exception. Mais pour la plupart, elles veulent chanter forcément. Dans ce cas, on choisit le chemin des dérives morales. Il y a des comportements que je n’apprécie pas chez certaines de nos jeunes sœurs artistes.
Qu’avez-vous à dire pour conclure cet entretien ?
Je vous remercie pour avoir initié cette interview. Mes remerciements vont également à l’endroit de Monsieur Lambert Awadjo qui n’accepte pas mon silence vis-à-vis de la scène. Il ne cesse de m’encourager à renouer avec la musique. Je fais la promesse d’y revenir très vite. Il faut reculer pour mieux sauter. C’est une façon de se cacher et de revenir en force. C’est ce que je fais. Mes salutations s’adressent également à tous les musiciens et chanteurs sans oublier les hommes des médias et les dirigeants de notre pays. Bon vent à la musique.
Propos recueillis par Jean-Discipline Adjomassokou