Ludovic Fadaïro est sculpteur, peintre, installateur et surtout amoureux d’art d’origine béninoise. Il est un artiste exceptionnel et fête ses 50 ans de carrière. Avec son art, il a fait le tour du monde et est classé parmi les artistes les plus créatifs dont les œuvres font l’unanimité dans tous les espaces. Il nous parle dans cette interview de son métier, de l’avenir de l’art dans son pays, en Afrique et dans le reste du monde.
Beaucoup de gens ont du mal à saisir ce que c’est qu’un plasticien. On parle même des arts plastiques. Comment les définissez-vous ?
Les arts plastiques sont toute forme artistique qui présente une forme physique. On peut parler de la peinture, de la sculpture, de l’installation. Ce sont des pensées, des lignes des discours qu’on met en forme. C’est mettre sous forme matérielle l’esthétique imaginée.
Vous faites partie des premiers artistes béninois à avoir une certaine notoriété hors du pays. Est-ce que selon vous il existe une identité artistique béninoise ? Est-ce que la nationalité de l’art se ressent dans les œuvres ?
L’art n’a pas d’identité. Il est intemporel et non identifiable, mais l’artiste vient forcément de quelque part. Son identité ne se confond pas à son art. Au Bénin, nous avons une importante densité de création plastique et nous avons le vaudou, un égrégore dans lequel nous puisons pour tous les arts, peinture, musique ou danse. Consciemment ou inconsciemment, les artistes béninois finissent toujours par puiser dans ce vivier culturel. Est-ce qu’on peut donner une identité à l’art béninois par rapport à cela, c’est possible. Mais, d’une manière générale, l’art n’a pas d’identité précise et lui en donner, c’est le tuer. L’art d’un chinois n’a pas besoin d’être traduit dans une autre langue pour être compris parce que l’art est un langage universel.
Alors, est-ce que c’est erroné de penser que l’art peut représenter un pays hors de son territoire ?
Actuellement, plusieurs œuvres béninoises sont exposées au Maroc. Ce qui représente le Bénin, c’est l’identité culturelle. C’est la maitrise de notre art que nous exportons, sinon l’art n’a pas de nationalité ou d’identité précise.
Vous avez évoqué l’universalité. Qu’est-ce que les artistes béninois apportent à l’universalité ?
Partout où il y a des hommes, il y a de l’art. Chaque pays apporte ce qu’il a au concert planétaire de l’universalité. La récente exposition des œuvres d’art rendues par la France est une preuve même de notre universalité. L’exposition de ce patrimoine a attiré les regards non seulement des Béninois mais aussi d’étrangers. L’art, c’est quand une œuvre oblige quelqu’un à se poser des questions. « Qu’est-ce que c’est, que veut dire l’artiste ? » De questionnement en questionnement, on rentre en communion avec l’artiste et aujourd’hui le monde entre en communion avec le Bénin par son art.
Que pensez-vous du paysage artistique béninois ?
Il foisonne de talents. Il faut juste l’organiser. La jeunesse a une fougue créative qu’il faut accompagner et organiser. Il y a un réveil artistique très intéressant dans le pays. Nous sommes un pays très artistique, aussi bien dans la cuisine que la parole. Ici, même l’insulte est artistique. Il faut, comme l’Etat le fait de plus en plus, organiser l’art et les artistes pour donner des produits vendables pour que la créativité accompagne le développement économique.
Justement, vous avez évoqué le foisonnement de talents. Qu’en est-il du marché intérieur de l’art ? Les œuvres béninoises se vendent à l’extérieur mais se vendent-elles au Bénin ?
Un marché local commence à se dessiner. On ne peut pas encore dire quelle direction prendra le marché mais connaissant les efforts consentis par les autorités béninoises dans ce domaine, j’ai bon espoir que le Bénin devienne le pôle d’attraction des arts plastiques en Afrique, voire dans le monde. Des initiatives comme le Festival International des Arts du Bénin accompagnent cette structuration. Mais je voudrais aussi ajouter qu’il y a des collectionneurs d’arts au Bénin. On est un peu cachottiers au Bénin, mais la structuration du secteur permettra de les connaître et de mettre à leur disposition de vrais produits d’art. Il ne faut pas oublier qu’il y a une différence entre art et artisanat. (L’art désigne une forme de travail non structurée et ouverte ; qui exprime des émotions, des sentiments et une vision. L’artisanat implique la création d’objets mais dans un but plus pratique qu’esthétique. Il y aura un marché béninois. Il commence à se mettre en place.
Selon vous, est-ce que le manque d’événements dédiés aux arts plastiques est responsable du temps pris pour avoir un marché local ?
Effectivement. Quand on pense que pendant plusieurs années le Bénin a été appelé « Quartier latin de l’Afrique », l’art devait avoir une place plus importante. L’art n’est pas qu’à l’artiste, il est éducatif et nourrit l’esprit. Le Bénin a été un quartier latin qui a essentiellement nourri les cerveaux. Nous n’avons pas eu d’évènements ou même d’école des Beaux-Arts et finalement le pays n’a pas d’institutions dédiées à l’apprentissage de la culture. J’ai contribué à créer l’école secondaire des métiers d’arts à Calavi et il y a une faculté de l’art à l’université, mais cela ne suffit pas.
Qu’attendez-vous donc du premier Festival international des arts du Bénin (FinAB)?
Déjà, j’attends des FinAB plutôt qu’une seule édition. L’initiative privée d’Ulrich Adjovi est à féliciter parce qu’elle accompagne l’action étatique dans le domaine culturel. Je suis content d’y participer et d’aider à faire venir les grands pontes des arts plastiques africains pour l’occasion. J’attends surtout un FinAB bien organisé qui ne s’arrêtera pas à une seule édition.
En préparant cette interview, j’ai vu que vous étiez l’un des pionniers africains dans l’abandon des techniques conventionnelles. Est-ce que vous vous décririez comme un artiste de rupture ?
Je me suis toujours insurgé contre ce qui existe déjà. Il faut voir autrement. Nos ancêtres n’avaient pas de toile ni de peinture industrielle mais nous ont laissé des œuvres centenaires qui résistent au temps. Parmi les œuvres rendues au Bénin, il y a des tissus vieux de 400 ans qui sont resté richement parés. On ne va pas à l’école de l’art juste pour apprendre et appliquer. Les formations nous apprennent surtout à réfléchir par nous-mêmes pour créer. L’artiste doit toujours aller vers l’originalité pour créer ce qui n’existe pas encore. C’est pour cela que je me suis toujours mis dans une posture de chercheur de l’art en travaillant par exemple sur du bois mort où chaque élément qui me parle. Je refuse la convention et je suis toujours prêt à me remettre en cause également.
Cette tendance à la rupture a beaucoup été suivie au Bénin et en Afrique. Diriez-vous qu’aujourd’hui l’art béninois s’exprime par la rupture avec les conventions ?
De toutes les façons, la culture africaine est dense et marquée par une certaine communion avec la nature. Nous lui prenons ce dont nous avons besoin pour vivre et pour nous exprimer. C’est donc naturel que l’art africain soit non-conventionnel. En Afrique, nous avons toutes les teintes pour peindre dans la nature, par exemple. Donc, il y a effectivement une africanisation de l’art notamment caractérisée par la rupture avec les conventions. Je ne le dis pas pour apposer un nouveau label africain péjoratif ou folklorique parce que cet art non conventionnel que nous pratiquons en Afrique est l’art d’aujourd’hui et de demain. Nous devons collaborer avec les artistes des autres pays, mais tout en restant nous-mêmes, sans se faire couvrir.
Propos recueillis par Servan Ahougnon