Pour l’artiste plasticien béninois Fulbert Enagnon Makoutodé, l’art de son pays peine à décoller à cause de plusieurs raisons dont celle de l’inexistence de politique de valorisation de la chose artistique.
Le constat avec l’art béninois est qu’il est acheté et apprécié avec grand engouement à l’étranger qu’à l’intérieur du pays. Par rapport à cela, qu’est-ce qui expliquerait alors la recherche de reconnaissance des artistes-plasticiens et peintres, dans leur pays d’origine ?
Pour la plupart du temps, il est vrai que nous ne sommes célébrés qu’ailleurs et de très belle manière. Mais la recherche de reconnaissance dans notre pays d’origine dont vous faites cas actuellement rime avec l’envie de ne pas paraître étranger chez soi-même. C’est aussi un son de cloche sur la nécessité de toujours recourir à ses origines. Aussi, il est très important de rappeler que notre métier d’artiste ne profite pas uniquement à nous artistes. Je veux parler des peintres, sculpteurs, photographe, designer, etc. Ce métier est également bénéfique au Bénin tout entier. D’où la nécessité de revenir au pays revêt une importance capitale et indescriptible. La pandémie du coronavirus a bouleversé l’ensemble des activités dans tous les secteurs du monde.
Peut-on affirmer que les restrictions liées à la Covid-19 ont été d’une manière ou d’une autre une raison majeure de la recherche de reconnaissance des artistes béninois dans leur territoire ?
Absolument oui, ça peut être vrai. Mais la Covid-19 a ralenti bien de choses de notre côté comme partout d’ailleurs. Si elle a permis à ce que des initiatives et des innovations voient le jour, elle a été de même à la base de multiples désagréments. Par exemple, avec la situation sanitaire, les évènements et manifestations à caractère culturel ont reçu un coup. Vous savez bien que dans le domaine de l’art, et de la culture les activités se résument essentiellement aux rencontres, aux expositions; et tout ça draine du monde. Malheureusement avec la Covid-19, il n’a pas été question ni possible de rassembler un nombre de personnes quelque part sans oublier les mesures de distanciation, le port du masque et autres.
L’absence d’une école des Beaux-Arts est-elle la raison qui conduit la plupart des artistes à s’improviser autodidacte ?
Peut-être bien, mais là n’est pas le vrai problème à mon avis. Je pense qu’on n’a pas besoin de fréquenter nécessairement une école d’art avant d’être artiste. Pour cause, il y a des prédispositions à prendre en amont. Puisque tout autant que nous sommes sur la planète terre, nous faisons de l’art sans le savoir. Nous sommes des artistes dont la majorité ignore son véritable talent. L’art est inné en chacun de nous. Juste qu’il revient à chacun de découvrir et repérer son talent. Certains y sont arrivés et en ont fait leur métier principal. Toutefois, aller à l’école des Beaux-Arts ne doit pas être pris à la légère. Tout simplement parce que l’école apprend plus de chose, l’école cultive, façonne et modernise avec beaucoup de technique et de professionnalisme.
À votre avis, cette absence d’école des Beaux-Arts est-elle la véritable cause de la non-expansion de l’art béninois ?
Notre art peine à décoller parce qu’au Bénin, nous manquons d’infrastructures. Voilà la principale raison. Malheureusement, c’est la triste réalité à laquelle sont confrontés les acteurs du domaine. C’est pareil pour les incubateurs et collectionneurs ambitieux.
Selon vous, le marché de l’art béninois souffrirait-il de manque de professionnalisme ou d’une absence de valorisation ?
Le marché de l’art manque de beaucoup de choses. Et les deux facteurs que vous avez mentionnés y figurent. D’abord, il faudra que les acteurs du milieu puissent s’organiser. Ensuite, il faut que l’État instaure une bonne politique de développement. Maintenant, vous constatez comme moi que les choses bougent petit à petit. Je crois qu’avec le pouvoir en place il y a de quoi présager un meilleur lendemain à l’art béninois. La preuve, aujourd’hui nous avons une galerie nationale. Sur ce, il n’y a pas à trop s’en faire, ça promet.
Que va apporter concrètement cette galerie nationale d’art au secteur et aux acteurs?
La création de cette galerie est une grande action à l’endroit de tous les acteurs artistiques. D’abord, elle permettra aux artistes d’avoir la côte, c’est très important dans notre domaine. Aussi, grâce à cette galerie, chaque artiste devrait avoir une valeur marchande par rapport à son travail. Cela contribuera également à l’amélioration de notre secteur puisque dorénavant on peut évaluer tout le secteur et tous les artistes. Qu’ils soient peintres, sculpteurs, photographes, designers ou autres. Cependant, tout ne devrait pas être laissé à la charge exclusive de l’État. Chacun doit apporter sa pierre à l’édifice pour le développement du secteur et pour le grand bonheur de tous. Sinon, qu’en réalité, parler de marché de l’art au Bénin, à vrai dire, il n’en existe réellement pas.
Si l’éducation à la chose artistique est indispensable pour que les Béninois puissent amplement s’intéresser à l’art, comment peut-on palier la faible consommation de l’art au Bénin ?
Nous n’avons pas de collectionneurs de taille. Il nous en faut. Pour qu’il y ait une consommation de l’art comme on le souhaite, une éducation de la chose artistique est irrévocable et même indispensable parce que les Béninois n’accordent pas une grande importance à ce qui est leur identité culturelle. Il faudra aussi permettre aux gens de savoir ce que c’est que l’art dans sa globalité. Et cela doit prendre corps par des initiatives d’exposition dans les lieux publics, mais aussi par la création des espaces dans les quartiers populaires, pour permettre aux gens d’être plus en harmonie et en communication avec les choses. Pour amener les gens à plus s’intéresser à l’art, je pense qu’il faut aussi en dehors des efforts et actions des artistes, l’accompagnement des journalistes et du reste de tous les citoyens.
Craignez-vous une politisation de la galerie nationale ?
Nous sommes sous les tropiques. Nous, artistes, craignons que les choses se passent ainsi. D’où, nous préconisons pour les fois à venir que les artistes fassent partie du cercle des décideurs de la galerie. Cela permettra à ce qu’il n’y ait pas de politisation exagérée car les artistes sont apolitiques.
Est-il concevable que l’art ne soit pas autant valorisé que tout autre secteur alors qu’on sait que parler de l’art, c’est parler de la culture ?
Bien sûr que non ! Cela ne peut en aucun cas être concevable. Il serait d’ailleurs bien qu’on inscrive dans la constitution que toute personne ou toute personnalité qui aspire briguer une mandature au Bénin fasse asseoir son projet de développement sur la base de notre culture. Personnellement, je serai content de cette mesure tout simplement parce que nous n’avons que notre culture à vendre. On n’a pas des minerais à exploiter, ni d’autres ressources naturelles de grande facture.
Que pensez-vous du fait que la culture Vodun soit de plus en plus mystifiée ?
Le Vodùn est notre héritage culturel. Et si les gens y voient du fétichisme ou du mythe, cela n’engage qu’eux. Parlant du Vodùn, moi je n’y vois que de la culture. Mais si vous me parlez du Vodùn sur le plan cultuel, vous comprenez qu’il faut d’abord être initié. Ce que moi je ne suis pas. Si on traite le Vodùn de satanique et de fétichiste, c’est sûrement à cause des personnes qui exploitent le côté malfaiteur de la chose à des fins personnelles. Mais moi, j’ai toujours eu une conviction. Il n’y a rien au monde qui soit sans revers. Comme le souligne fréquemment un de mes amis; dans la vie, quand il y a le noir quelque part, cherchez bien, vous y trouverez du blanc aussi.
Le sous-développement joue-t-il un rôle dans la faible consommation des œuvres d’art ?
Il ne s’agit pas d’une histoire de sous-développement. Les Sénégalais s’intéressent à l’art, il en est de même pour les Ivoiriens. Et à ce que je sache, ces pays appartiennent à la classe des pays du tiers-monde comme le Bénin c’est-à-dire tout simplement que le problème est ailleurs.
La plupart de vos œuvres artistiques rendent hommage à la ressource humaine, même l’Homme dépourvu de tout sens est célébré. Êtes-vous un apologiste de l’être humain ?
Vous êtes très bon observateur. Mes œuvres parlent effectivement de l’Homme. Mais pas tel qu’il se présente. Je me dis que nous nous présentons tous sous un masque et que derrière ce masque se cache le vrai Homme. Pour moi, l’homme est au début et à la fin de tout ce qui régit l’humanité. Et pour ça, il devrait permettre à ce que tout ce qui vit autour de lui, soit en harmonie avec lui. Afin que la vie et l’existence soient agréables pour tout le monde.
Propos recueillis par Arnauld Kassouin