Dans ce monde de brutes, vous pensez avoir tout entendu et tout vu et un matin vous découvrez l’horreur. Pegasus, le logiciel conçu par une société israélienne en est une. Sa cible, les journalistes et les autres.
Ils sont 180 journalistes, à travers le monde, dont les phones étaient constamment tracés, épiés et qui a fini par un drame, la mort du journaliste mexicain Cecilio Pineda Birto. Il a été abattu dans l’exercice de ses fonctions, quelques semaines après, que son téléphone a été pris en charge par le logiciel espion. Son mode opératoire est simple. Dès qu’il s’introduit dans un téléphone, il récupère messages, photos, contacts et permet d’écouter les appels de son propriétaire. Il peut prendre aussi le contrôle du micro transformant le téléphone en mouchard et géo localiser l’appareil. C’est un consortium de journalistes qui a donné l’alerte. Ma toute première réaction, que ce logiciel ne tombe jamais entre les mains des dirigeants africains. Je suis en retard. Certains l’ont utilisé déjà, même tout proche de nos frontières, selon la liste des potentiels utilisateurs. Pour ceux de ma génération, la surveillance des populations a démarré avec la révolution. Tous ceux qui étaient contre étaient taxés d’anarcho-gauchistes. Certains de nos aînés journalistes ayant compris ont vite pris la clé des champs. Les autres sont rentrés dans les rangs. Ce sont ceux-là qui ont animé la » Voix de la Révolution » et le journal » Ehuzu ». La nature ayant horreur du vide, le Parti Communiste du Dahomey (PCD) a animé ce secteur par la production des bulletins comme ‘’La Flamme’’ ‘’La Voix du peuple’’, ‘’Le soldat’’, considérés à l’époque comme des tracts. A la conférence nationale en 1990, il a été formellement rétabli la liberté de presse, d’expression et d’opinion. Or, comme dans chaque régime, il y a toujours quelque chose qui sent mauvais, le premier régime sous l’ère démocratique n’a pas été moins menaçant pour les hommes de la presse. Certains du service public étaient traités de « Malabars’’ ou d’’’écrivaillons » pendant que les autres, par exemple, les journaux comme ‘’L’horizon’’, ‘’L’observateur’’ et autres sont régulièrement indexés pour leurs écrits. Les railleries du genre » Le Soleil qui ne luit pas’’, ponctuent les sorties du Prince d’Abomey. Dans son filao, le vieux observait attentivement tout ce qui se faisait et se disait et trouve la formule magique en 1996, le jour où il présentait son livre » Le Bénin du futur », pour mettre les journalistes dans sa poche. » Vous les jeunes, vous avez fait l’université, vous n’avez pas de boulot. Et vous avez créé des journaux. Si m’insulter peut vous faire vendre, je vous y autorise« . Tonnerre d’applaudissements. La seule fois, pendant les 10 ans où un journaliste a été mis en prison, son ministre de la justice en a bavé. Il a été contraint, à ce qu’il paraît, à faire les va-et-vient, entre le tribunal et la prison pour obtenir la libération du journaliste contre son poste. C’est à partir de « Yinwê » que toutes ces libertés concédées par le vieux ont commencé à être rognées. Une véritable chasse à l’homme a été engagée contre certains de mes collègues, qui se croyaient encore 10 ans en arrière. Certains de ceux-là sont aujourd’hui aux affaires et ont oublié les valeurs qu’ils défendaient. J’ai dit à un parmi eux, il y a quelques temps » Ce sont donc, les circonstances qui déterminent le comportement des gens ». Montaigne disait » Quelle vérité que ces montagnes bornent, qui est mensonge au monde qui se tient au-delà ». De toutes les façons, la liberté de presse et d’expression dégringolent tous les jours dans, au point où on en vient à chuchoter pratiquement. Aussitôt, une conversation commence et l’interlocuteur vous rappelle de faire attention dans le choix des mots et qu’il se pourrait qu’on soit sur écoute. Une discussion à plusieurs et tu entends quelqu’un dans le groupe dire « Activez le mode avion ». On s’est mis seul, par peur dans une certaine psychose. Mode avion ou pas, nos smartphones n’ont plus aucun secret pour Pegasus. En attendant, le logiciel espion apparaît comme les changements climatiques, Covid-19 et variants. On ne saura jamais entièrement, les tenants et les aboutissants. C’est ce que je crois.
Didier Hubert MADAFIME