Artiste autodidacte, l’homme des boîtes de conserve, Benjamin Déguénon désigne l’art comme ce qui est semblable à l’inexplicable. Pour lui, la faible consommation des œuvres d’art en Afrique est due au manque d’information des peuples noirs africains.
Depuis peu, des expositions d’art ne passent inaperçues. N’est-ce pas là, une évolution positive que le secteur enregistre ?
C’est absolument une évolution que le secteur d’art enregistre aujourd’hui. Et si l’on fait recours à l’époque des aînés comme Dominique Zinkpè et Romuald Hazoumè, l’état des lieux ne peut en aucun cas être comparable. Alors là, une évolution du secteur est prévisible. La bonne nouvelle c’est que plusieurs jeunes béninois à travers leurs œuvres, leurs talents s’essayent et s’expriment en toute liberté sans pour autant être des artistes introvertis. C’est ce qui d’ailleurs explique le fait que les expositions sont de plus en plus fréquentes.
Pensez-vous que le climat des affaires au Bénin est favorable pour les artistes qui voudraient faire découvrir leurs talents ?
A mon avis, oui. C’est à cause du bouillonnement que le secteur est en train de connaître que nous voyons plus d’expositions. Et si des expositions ont lieu, c’est grâce à l’environnement, au cadre juridique et au cadre des affaires qu’offrent les institutions Étatiques. Donc, même en étant pragmatique, on peut dire avec certitude que le climat des affaires au Bénin est propice pour toutes activités ayant trait à l’art. Malgré le contexte de la pandémie dans lequel nous sommes, à l’occasion des expositions, l’on a l’impression que les Béninois s’intéressent de mieux en mieux à l’art.
Quelle appréciation faîtes-vous de ce constat ?
Vous savez, l’art est comme un virus. Puisque, quand on en parle, les amoureux de cet univers plein de couleurs, de perspectives, d’amour, d’histoires répondent toujours présents. Où qu’ils soient, ils répondent toujours présents. Ce qui est émouvant, c’est qu’on observe une forme d’attachement, d’intéressement du Béninois à la chose de plus en plus. Et là, nous, nous sommes honorés. Que les Béninois reconnaissent la valeur de nos talents est très important pour nous en tant qu’artiste. Que nos œuvres soient aimées par des Africains est une très bonne chose. D’autant plus que c’est un combat pour lequel nos aînés ont commencé à lutter il y a longtemps.
À travers vos œuvres, vos sculptures, installations, performances dîtes-nous comment est-ce que vous définissez l’art ?
L’art est semblable à l’inexplicable. Pour ma part, je le définis comme un trop plein en moi. En quelque sorte, il est cette chose qui mijote, tremblote, traverse et abrite le plus profond de mon être que j’essaie d’accoucher, de montrer et de faire comprendre aux autres. Et comme vous le savez, il existe une multitude de forme d’art. Et c’est par exemple en fonction de ton inspiration, ce que tu n’arrives pas à cerner par toi-même, tu voudrais lui trouver un libre cours, un sens ; tu peux procéder à l’extérioriser par la chanson, les dessins, la performance, la céramique, la sculpture, la soudure (…). Maintenant en ce qui me concerne, moi, je travaille la sculpture, l’installation, la performance, la peinture et les desseins.
À admirer vos œuvres, on songe être dans un monde où tout pérore. Dites-nous, quel est le véritable courant de pensée que vous honorez ?
Dans mes œuvres, je me rapproche plus du monde des existentialistes où tout ce qui se passe dans mon environnement, sur la toile, à travers les médias, les actualités, mes vécus y trouvent un sens. Mon expérience de la vie, de mon quotidien, et celle des autres sont d’une importance de très grande envergure pour moi.
Pourquoi vos œuvres font transparaître un relativisme entre l’homme et la nature ?
C’est simple ! ( Rire ) Il faut comprendre juste que la nature existait avant l’homme. Et sans la nature qui est aujourd’hui à la disposition de l’homme, l’être humain lui-même ne pourra se dire ou prétendre être homme. Donc, dans mes œuvres, j’essaie de rapprocher mon environnement immédiat à notre vie en tant qu’Homme. Et je vois cela d’un œil très attentif.
Dites-nous, d’où est partie votre passion pour l’art ?
Je ne saurai le dire concrètement. Mais je sais que, c’est grâce à ma curiosité dès mon jeune âge que tout a pris naissance. À cette époque, je voulais tout comprendre et donner à toute chose une forme avec précision. Et ce n’est que progressivement que j’ai découvert qu’un changement, ou encore que, quelque chose à travers l’art pourrait faire effet. Le comble, et le plus indigeste dans l’histoire en Afrique, c’est que nos parents, je ne parle pas de ceux d’aujourd’hui, les anciens bien sûr, ne voyaient pas une grande importance à la culture auparavant. On parle de l’art. Aussi, il s’est avérée une faible affection de leur part à l’endroit des œuvres d’art. Et c’est là justement la raison pour laquelle les choses n’ont pas vite pris comme cela devrait en être avec moi et sûrement avec tous les autres artistes certainement aussi au début. Pour les parents, ils se demandent si ce métier pourrait fermer le vide qui est en train d’être creusé. En fait, plusieurs questions pouvaient leur passer par la tête. J’avoue que ça n’a pas été facile de mon côté. J’ai abandonné les cours très tôt. Et là, les parents voulaient que je fasse l’apprentissage d’un métier. Mais bon aujourd’hui les choses ne sont plus de la même onde. Dans l’histoire, le plus émouvant est d’avoir pu les convaincre par la suite.
Que pensez-vous du fait que la culture ne soit pas autant valorisée que l’art ?
Sans la culture, l’art n’existerait pas. Il est important que les deux soient valorisés au même titre. La culture est semblable à un puits où l’art puise tous ses composants. Il serait désagréable qu’on abandonne l’un au détriment de l’autre. C’est illogique d’ailleurs. Si tel est le cas au Bénin, je pense que c’est un vent qui souffle. Je pense aussi que c’est à cause de la valeur qu’on accorde à l’art qu’il est plus valorisé. Mais je suis convaincu que la donne changera.
En quoi les boîtes de conserve, sont d’une importance capitale pour vous ?
Je les considère comme des enfants. Je me suis engagé pour les récupérer, les ramener à la maison et leur redonner une nouvelle vie, une chance nouvelle. C’est comme cela que les boîtes de conserve ont commencé par faire apparition dans mes œuvres. En mon temps, quand j’étais plus jeune, je n’ai pas connu, Internet, Android, ni les jouets occidentaux. Ce qui a fait que c’est avec les boîtes de conserve que nos aînés fabriquaient leurs jouets. A cette époque, j’étais un accro, un amoureux de ces jouets. Grâce à elles, on pouvait avoir des voitures, les transformer en marmites juste pour nous amuser. Mais ce qui m’a amené vers ces boîtes de conserve en tant qu’artiste, c’est le fait qu’après utilisation, elles sont jetées, abandonnées.
Comment expliquez-vous le fait que les œuvres d’art africain soient plus consommées en Occident qu’en Afrique ?
Tout est question de culture. Disons aussi que c’est une tendance. Tout peut changer en tout moment. Ce constat peut, juste à cause du manque d’information du côté des Africains, basculer autrement.
Propos recueillis par Arnauld Kassouin