L’industrie cinématographique du Bénin peine à décoller. Depuis, rien ne semble bouger. Alors, le cinéma béninois est toujours confronté à de nombreuses difficultés liées au manque de professionnalisme, de faute de moyens et de soutien de l’Etat. Des défis énormes restent à relever par les acteurs de ce secteur riche en découvertes en matière de création, d’imagination et d’émotion. Ce sont autant de sujets que nous avons abordé dans cette interview avec notre invité Arcade Assogba, cinéaste professionnel béninois.
Depuis la naissance du Centre national du cinéma et de l’image animée (Cncia), l’industrie du cinéma peine à faire des prouesses. Alors quelle est la réelle utilité de cette institution ?
Ce centre a été créé pour réguler le secteur du cinéma. Je ne connais pas de pays au monde qui se soit passé d’une telle institution. Il est utile à plus d’un titre. Il a pour rôle l’exécution des politiques publiques en matière cinématographique. C’est un organe étatique qui devrait aider à élever le secteur de cinéma, étant entendu que l’Etat est le principal promoteur de la chaîne culturelle béninoise. Le Cncia a pour vocation de faire rayonner le cinéma béninois et donc sa ou ses cultures tant à l’intérieur du pays qu’au-delà de ses frontières.
En tant que membre du conseil artistique de ce centre, dites-nous, qu’elle est la mission de son conseil d’administration où la représentation est discutée entre professionnels du cinéma et fonctionnaires d’Etat ?
Comme tout conseil d’administration, il décidé de l’orientation des activités en amont, puis valide le bilan de l’exécutif. Il a à sa charge la définition des projets et donne acte au directeur général pour qu’un programme subséquent soit déployé. C’est l’organe suprême qui décide des orientations, qui contrôle la gestion des programmes initiés pour l’émergence du secteur.
En dehors de vos productions et celles de sylvestre Amoussou, on a totalement l’impression que le cinéma béninois est inconnu à l’échelle internationale. Ce constat n’est-il pas dû au manque de professionnalisme ?
Pour dire vrai, à l’intérieur du pays, il ne se passe pas grand-chose. Ce serait malhonnête de ne pas l’admettre. Il y a des cinéastes béninois qui brillent quand-même à l’international. Certes, on peut les compter du bout des doigts. Idrissou Mora Kpaï est d’ailleurs un exemple. Il a sorti un long métrage documentaire, “America street”, récemment aux Etats-Unis d’Amérique où il vit et enseigne le cinéma à l’université. Il faudrait surtout rappeler aussi qu’il y a un certain relâchement de la part de l’Etat. Le fait que le film “L’orage africain” de Sylvestre Amoussou ait pu remporter l’Etalon d’argent de Yennenga au Fespaco en 2017 aurait été un fait déclencheur pour qu’il y ait une véritable relance de la part de l’Etat. Mais rien ne s’est encore passé. Ce qui inquiète par-delà tout, c’est l’absence de perspective pour demain. Pas la moindre promesse au cinéma.
Le chef de l’Etat à travers son projet de société, » Le développement, ça y est » n’a pas consacré une ligne au secteur du cinéma, et s’il ne parle pas du tout du cinéma, est-ce parce qu’il ne connaît pas l’impact du cinéma sur le développement ?
C’est bien la question que je me pose. En principe, les deux vont de pair. L’on ne peut envisager le développement sans miser sur le cinéma.
Comment expliquez-vous le fait que les cinéastes béninois soient moins connus au Bénin ?
Je serai moins catégorique. Tout est question de planification, et là, on constate l’intérêt qu’il y a encore de doter le Centre national du cinéma et de l’image animée de moyens adéquats pour qu’à l’intérieur du pays, le secteur soit bien structuré et promu. Le centre a en idée de créer une cinémathèque nationale. Voilà un outil pour régler durablement et efficacement le défi de reconnaissance en lien avec le secteur de l’éducation, le milieu culturel et associatif de même que les médias, le défi sera relevé très rapidement. S’en suivra un bouillonnement positif à la taille des acteurs, des équipements et du marché quoique minime.
Y a-t-il un circuit de distribution des productions cinématographiques ?
Il fut un temps dans les années 1990-2000 où les Dvd étaient encore à la mode. Il y avait vraiment des sociétés de distribution qui alimentaient une forme d’industrie de la vidéo. En ce temps, les circuits de distribution intervenaient même dans la production de certaines œuvres, vu l’appétence du marché. On a enregistré un boom en ces années-là. Mais, après la crise des Dvd, il n’y a plus eu de circuit de distribution du genre. Les boutiques ont fermé ou sinon, elles sont remplacées par des échoppes de commerce général. En parallèle, pour ce qui est du cinéma proprement dit, plus de salles d’exploitation, plus d’œuvres, après la période des salles de cinéma qui ne diffusaient que des œuvres étrangères, ce qui avait fait écrire par notre doyen, François Sourou Okioh son fameux livre “Cinéma béninois, connais pas”. bref, la seule salle de cinéma en exploitation au Bénin s’appelle Canal Olympia. Une salle de trois cents places pour près de 12 millions d’habitants.
Le manque de moyens financiers dans la réalisation des œuvrent cinématographiques n’est-il pas aussi le frein du développement du cinéma béninois ?
Effectivement, le manque de financement fait partie des facteurs qui stagnent le niveau du cinéma béninois. Comme on le dit, l’image, ça coûte cher. Il n’y a pas de cinéma sans argent, sans investissement. C’est en cela que le cinéma lui-même est un moteur important pour l’économie. Au Bénin, comme on est habitué à des productions avec peu de moyens, eh bien, le cinéma est toujours au stade qui lui ressemble : maigrelet et marginal. Et si nous avons pu être cité quelques fois au Fespaco par exemple, c’est grâce à certains auteurs qui se sont battus pour avoir les moyens à mettre dans leurs productions respectives.
Pourquoi les cinéastes ne font recours à des fonds de soutien comme le Fonds d’appui à la production audiovisuelle (Fapa) et ils parlent toujours de manque de moyens financiers ?
Le Fapa est le seul fonds destiné spécifiquement à la production audiovisuelle, et lorsqu’on parle de l’audiovisuel, c’est large. L’audiovisuel brasse toutes les productions télévisuelles et numériques aujourd’hui. Au Bénin, il n’existe pas un fonds étroitement destiné au cinéma. Le fonds des arts et de la culture finance à une échelle marginale le cinéma. Il englobe d’ailleurs tout, à comparer à ce dont on a besoin pour une production de cinéma, la totalité des montants alloués au cinéma ne pèse du tout pas, ce qui fait qu’à l’heure actuelle, il n’y a pas une œuvre qui ait été financée par le fonds des arts et de la culture et qui a fait le tour de la sous-région ouest-africaine.
Qu’est-ce qui explique la stagnation ou le déclin de l’industrie du cinéma béninois selon vous ?
Je pense qu’à un moment donné, il a manqué de vision pour orienter l’industrie du cinéma, et aussi, le fait qui n’y ait pas assez d’acteurs qui s’investissent dans le domaine. Une masse critique importante est en cours de constitution autour du cinéma. C’est cela la bonne nouvelle. Le marché de consommation des œuvres de la cinématographie est quasi désert.
Qu’est-ce qui expliquerait ce constat selon vous ?
Le marché du Bénin est petit, mais le géant Nigeria constitue aussi un marché naturel pour nos productions. Le marché n’est donc pas seulement limité entre les frontières du Bénin. Lorsque les producteurs investissent en tenant compte de cela, je pense qu’ils ne se plaignent plus. C’est déjà arrivé, croyez-moi, mieux, avec l’accroissement des plateformes de vidéos à la demande, le marché est encore plus ouvert. La diffusion du cinéma se moque royalement des frontières maintenant. Cela va s’accentuer dans les années à venir. La consommation des produits culturels, le cinéma en tête, viendra suppléer les barrières sanitaires et territoriales qui se dressent en ce 21ème siècle. Tâchons de ne pas demeurer à la périphérie. Voilà un enjeu pressant par exemple.
Propos recueillis par Arnauld Kassouin